Je mets en ligne le commentaire d'un ami, merci à lui ;)
J´ai choisi Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, qui à mon goût n´est pas aussi connu qu´on le pense et encore moins lu, pourtant sa postérité est impérial :Chateaubriand(« Il écrit à la diable pour l´immortalité »),Proust, Stendhal(« j’ai deux passions, les épinards et Saint-Simon !» ) il fascinera Proust par sa manière à transcender le temps, à le faire revivre, en effet, avec plus de sept mille personnages présents à travers les trente mille pages(13536 pages dans les éditions La pléiade).
Regroupant une grande variété de genres et de registres tout en s´attachant davantage aux "commérages" qu'aux grands faits,Saint-Simon recrée un monde par son réalisme: observateur minutieux, juge impitoyable, le Duc excelle dans l´art du portrait, un exemple:
"L´abbé Dubois était un petit homme maigre, effilé, chafouin, à perruque blonde, à mine de fouine, à physionomie d´esprit, qui était en plein ce qu´un mauvais français appelle un sacre, mais qui ne se peut guère exprimer autrement. Tous les vices combattaient en lui à qui en demeurerait le maître. Ils y faisaient un bruit et un combat continuel entre eux. L´avarice, la débauche, l´ambition étaient ses dieux; la perfidie, la flatterie, les servages, ses moyens; l´impiété parfaite, son repos; et l´opinion que la probité et l´honnêteté sont des chimères dont on se pare, et qui n´ont de réalité dans personne, son principe, en conséquence duquel tous moyens lui étaient bons. Il excellait en basses intrigues, il en vivait, il ne pouvait s´en passer, mais toujours avec un but où toutes ses démarches tendaient, avec une patience qui n´avait de terme que le succès, ou la démonstration réitérée de n´y pouvoir arriver, à moins que, cheminant ainsi dans la profondeur et les ténèbres, il ne vit jour à mieux en ouvrant un autre boyau. Il passait ainsi sa vie dans les sapes. Le mensonge le plus hardi lui était tourné en nature avec un air simple, droit, sincère, souvent honteux. Il aurait parlé avec grâce et facilité, si, dans le dessein de pénétrer les autres en parlant, la crainte de s´avancer plus qu´il ne voulait ne l´avait accoutumé à un bégayement factice qui le déparait, et qui, redoublé quand il fut arrivé à se mêler de choses importantes, devint insupportable, et quelquefois inintelligible. Sans ses contours et le peu de naturel qui perçait malgré ses soins, sa conversation aurait été aimable. Il avait de l´esprit, assez de lettres, d´histoire et de lecture, beaucoup de monde, force envie de plaire et de s´insinuer, mais tout cela gâté par une fumée de fausseté qui sortait malgré lui de tous ses pores et jusque de sa gaieté, qui attristait par là. Méchant d´ailleurs avec réflexion et par nature, et, par raisonnement, traître et ingrat, maître expert aux compositions des plus grandes noirceurs, effronté à faire peur étant pris sur le fait; désirant tout, enviant tout, et voulant toutes les dépouilles. On connut après, dès qu´il osa ne se plus contraindre, à quel point il était intéressé, débauché, inconséquent, ignorant en toute affaire, passionné toujours, emporté, blasphémateur et fou, et jusqu´à quel point il méprisa publiquement son maître et l´État, le monde sans exception et les affaires, pour les sacrifier à soi tous et toutes, à son crédit, à sa puissance, à son autorité absolue, à sa grandeur, à son avarice, à ses frayeurs, à ses vengeances. Tel fut le sage à qui Monsieur confia les moeurs de son fils unique à former, par le conseil de deux hommes qui ne les avaient pas meilleures, et qui en avaient bien fait leurs preuves."
Saint-Simon est mémorialiste lu pour son style et pourtant « Je ne me pique pas de bien écrire. » affirmera le mémorialiste!
Certaines tournures de phrase sont archaïques et il subsiste quelques solécismes mais sur trente mille pages! Et c´est aussi cela qui fait sa réputation de styliste, il fait ce qu´il veut, utilise tout les registres de langage, c´est aussi un maître de l´ellipse, des raccourcis phénoménaux sont pris, déployant encore son immense talent qui fit de lui un génie!
C´est aussi un conteur hors pair, faisant d´un fait divers une véritable comédie en ménageant le suspense, et si l´on lit Saint-Simon, c´est aussi pour sa cruauté, sa méchanceté absolument jubilatoire, regardez le portrait pour vous en convaincre, peu de gens trouve grâce à ses yeux et c´est tant mieux pour nous!
Malheureusement pour se procurer les mémoires de Saint-Simon dans leur intégralité, il vous faudra débourser 429,50 € car c´est la seule édition à les éditer. Les mémoires ne sont pas un texte facile, loin de là, dû aux nombres de personnages et au style, mais vous manqueriez une œuvre titanesque...J'ai bien peur de ne jamais pouvoir retrouver des pages aussi éternelles.
La puissance des expressions me sidère; le Duc ne recul devant rien, use du langage grossier quand il est nécessaire (cul, prostitution...)
Huit mille cinq cents personnages dont s'inspireront Proust et Chateaubriand, une vivacité d'esprit incroyable, une acuité psychologique exceptionnelle, un vocabulaire immense, des pages de fureur, des traits d'une rare méchanceté, des tableaux étincelants, des scènes de guerre splendides, des intrigues de palais envoûtantes...c'est un phénomène littéraire inouï!